Les Bayles, Consuls et Maires

Bayles, consuls et chefs de famille d’Estagel durant la première moitie du xve siecle

Vus a travers le prisme des élections consulaires et des dénombrements de feux.

Recherches effectuées par Marie-José Bonnes et Bernard Péricon.

Très peu de documents concernant l’élection des représentants communaux d’Estagel sous l’Ancien Régime, alors appelés consuls, existent encore de nos jours. Seuls subsistent quelques compte-rendus d’élection pour le XVIIe siècle disséminés dans les séries C et H des Archives Départementales des Pyrénées-Orientales.

A ce titre, les quelques procès-verbaux d’élections concernant le XVe siècle que nous avons découverts dans les minutes de Pierre Pastor, notaire de Baixas et d’Estagel, sont d’autant plus intéressants.

Nous avons eu entre les mains quatorze procès-verbaux d’élection, soit près d’ un tiers de la période que nous étudions ici (1400-1450). Ce sont ceux des élections des années : 1403, 1404, 1411, 1412 1413, 1414, 1425, 1426, 1427, 1428, 1444, 1445, 1446, et 14471. S’agissant de cette dernière année, il faut préciser que l’acte en question est rayé dans le registre, soit que l’élection n’ait finalement pas eu lieu, soit qu’elle ait été invalidée.

Nous avons étudié, en outre, deux listes des chefs de famille du village, datées de 1402 (il s’agit d’un extrait des reconnaissances au seigneur concernant le lieu-dit Le Castelar) et 1422 (acte d’hommage et serment de fidélité des habitants d’Estagel à Galcerand de Vilanova, camérier de Lagrasse et seigneur d’Estagel)2.

Malgré leur brièveté, ces quelques actes vont nous fournir de précieux renseignements sur les familles alors en place dans le village, et nous permettre également d’avoir une idée assez complète du déroulement du processus d’élection des représentants de la communauté.

Le rôle du  bayle et des consuls sous l’Ancien Régime

Même s’il n’est pas dans notre propos d’entrer ici dans le détail des attributions de l’administration villageoise sous l’Ancien Régime, il est bon de rappeler quelques généralités sur le fonctionnement des institutions communales et le rôle des représentants municipaux et seigneuriaux.

Le bayle est le représentant du seigneur et l’officier de sa justice. Il est parfois secondé par un ou plusieurs lieutenants et par un valet de ville (l’ancêtre de nos appariteurs), appelé « précon » dans les documents en latin.

Les villageois, quant à eux, sont désignés, dans les documents, par les termes « l’université des habitants ». Tous les ans, à date fixe, ils désignent des représentants chargés d’administrer et de gérer les biens communs. Ces représentants sont appelés consuls, et leur nombre varie en fonction de l’importance du village. A Estagel, ils sont la plupart du temps au nombre de trois.

Les consuls ont des activités multiples. Ils interviennent dans de nombreux domaines : signature des baux des bâtiments communaux (four à pain, boucherie, boulangerie, moulins, puits à glace, etc.), collecte de l’impôt, hygiène et santé publique (notamment en cas de peste), création des gardes des récoltes (appelés bandiers), etc.

La désignation des consuls est faite, selon la formule consacrée, par la plus grande et saine partie des habitants : il s’agit de la plupart des chefs de famille du village. En sont exclus les nouveaux arrivés, venus de villages voisins depuis peu, ainsi que les indigents.

La nomination des consuls suit un processus identique dans la plupart des villages : l’assemblée est convoquée à la demande du seigneur ou du bayle par le valet consulaire. La réunion se déroule « dans le lieu accoutumé des séances ». Souvent, la municipalité, à cette époque, n’a pas de salle spécialement dédiée aux séances de ses délibérations. Aussi, les réunions, se déroulent elles, soit, si le temps le permet, sur la place publique, soit chez le recteur du village, soit dans l’église, soit dans l’une des maisons les plus spacieuses (boutique d’un marchand, par exemple). A Estagel, c’est dans l’église que se déroulent les réunions, pour l’époque qui nous intéresse.

Les habitants désignent ensuite les consuls. Leur nombre varie en fonction de l’importance de la communauté. Le rang des consuls détermine leur importance, et aussi leur rétribution. En effet, la charge de premier consul est plus importante que celle du second ou du troisième, et les rémunérations sont en conséquence.

Parfois, le bayle ou le seigneur effectue une présélection et choisit pour chacun des postes, deux ou trois personnes qui lui paraissent aptes à exercer la charge. Ailleurs, ce sont les villageois qui proposent deux ou trois personnes pour chacun des offices, et c’est le seigneur qui choisit. Dans certains villages, ce sont les consuls sortants qui désignent les consuls entrants. Ce n’est pas le cas à Estagel, où l’ensemble des chefs de famille présents désignent leurs consuls. Nous n’avons pas de renseignements sur les modalités de l’élection (vote à main levée ou à bulletin secret, ou insaculation, ainsi que cela se pratique dans d’autres villages du Roussillon, par exemple). Ce sont ces nominations qui font l’objet des actes notariés retrouvés dans le minutier de Pierre Pastor que nous étudions ci-dessous.

Toutefois, cette désignation ne suffit pas à elle seule pour que le consul soit établi dans sa charge. Il faut encore que le seigneur ou son bayle pour lui, donne son aval à sa nomination.. Ensuite, le consul prête serment. Dans les villages assez importants, il porte un vêtement honorifique, la livrée. Dans nos régions, ces vêtements sont souvent noirs et rouges.

La nomination des consuls

La nomination se fait tous les ans à date fixe. Pour Estagel, la date de nomination des consuls nous est donnée par tous les documents étudiés ici. Sur les quatorze procès-verbaux de désignations du XVe siècle que nous avons retrouvés, 12 ont eu lieu le 11 novembre, jour de la saint Martin, un le lendemain 12 novembre (celui de l’année 1413) et un autre le 5 novembre (celui de l’année 1403). Il est donc très probable que c’est la date du 11 novembre qui était alors le jour habituel de la désignation, sans qu’il soit possible, en l’état actuel de nos recherches, de savoir pourquoi cette date a été choisie plutôt qu’une autre. On trouvera en annexe 1 la liste des estagellois désignés pour chacune des années dont nous avons retrouvé le procès-verbal d’élection. Ainsi que nous l’avons indiqué ci-dessus, nous ignorons le mode d’élection choisi. Aussi, même si certains individus sont désignés à plusieurs reprises, nous ne nous avancerons pas à indiquer que ces individus ont été désignés à cause de leur fortune ou de leurs aptitudes à diriger les destinées de la communauté, car si le mode d’élection en vigueur à Estagel au XVe siècle est l’insaculation, les personnages nommés consuls ont été choisis par le seul fait du hasard. Ajoutons, pour en terminer, que dans chacun des procès-verbaux de désignation, les noms des chefs de famille présents sont ordonnés sur deux ou trois colonnes. Dans 9 actes sur 12, (soit ceux que nous pouvons vérifier avec les précédents et les suivants, les trois premiers noms de la première colonne sont ceux des consuls sortants. Cette affirmation ne se vérifie pas en 1404, 1413 et 1414, peut-être parce qu’il y a eu une seconde élection en cours d’année. En 1446, deux des trois premiers noms sont des consuls élus l’année précédente, le troisième est différent. Il peut s’agir d’une erreur du notaire dans l’acte, ou de la conséquence du décès en cours d’exercice du troisième consul.

Les Bayles d’Estagel durant la première moitié du XVe siècle

Les deux listes de chefs de famille de 1402 et 1422 ne portent pas le nom du bayle d’Estagel. Par contre, les 12 des 14 procès-verbaux d’élection des consuls nous fournissent cette indication. Il est possible de tirer quelques éléments intéressants des quelques noms que nous avons, en gardant en tête les réserves que nous avons faites au début de cet article.

Tout d’abord, le bayle est accompagné d’un lieutenant (deux mentions, Raymond Andrée en 1412 et  Bernard Richa en 1425), ainsi que d’un valet de ville, toujours signalé, une seule fois nommé, en 1427 (il s’agit du même Bernard Richa, qui était lieutenant de bayle deux ans auparavant).

Ensuite, le changement de titulaire de l’office est fréquent: nous avons 10 personnages différents pour 12 années renseignées. Deux restent dans la charge deux années consécutives: il s’agit de Daydé Garsie en 1411 et 1412, et de Arnaud Agullo, en 1446 et 1447. Cette rotation des titulaires ne se retrouve pas au siècle suivant, soit que les modalités de nomination aient changé, soit que les événements aient permis, malgré les crises de la première moitié du XVIe siècle, une stabilisation de la fonction et un établissement durable sur place des familles exerçant la charge.

S’agissant des patronymes portés par les titulaires, si Bernard Durand, qui est titulaire en 1403 est probablement d’une famille fixée à Estagel dès le XIII siècle, certains noms de famille n’apparaissent qu’au moment de la prise de fonction du bayle et leur patronyme ne se trouve pas dans les listes de cette moitié du XVe siècle (Daydé, Gonella, Agullo, Corbos et Sicart et Bernard Fabri, qui n’apparaît qu’en 1444). Pierre Massot, quant à lui est à Estagel depuis 1402 au moins.

En l’état actuel de nos recherches, ce sont les seuls renseignements que nous pouvons tirer de ces procès-verbaux.

Notons, pour en terminer avec les familles des bayles, que le 14 août 1556, le bayle alors en fonctions à Estagel fait procéder à l’inventaire des biens d’un nommé Michel Agullo, prêtre d’Estagel, et peut-être descendant du dernier des bayles que nous avons découvert ici.

Les recensements de population à Estagel du XIVe au XVIe siècles

Autrefois, le nombre des habitants était compté par feux, c’est à dire par foyer fiscal. Pour Estagel, il existe, entre 1358 et 1553, sept recensements faits de cette manière. Ce sont ceux des années 1358 (118 feux), 1365 (121 feux), 1378 (77 feux), 1424 (33 feux), 1470 (55 feux), 1515 (50 feux) et 1553 (32 feux).

Certains de ces nombres, en particulier celui de 1424 qui est exceptionnellement bas, doivent être pris avec circonspection, essentiellement à cause de deux facteurs : en effet, la réalité sur le terrain n’est pas toujours conforme au nombre de feux taxés à cause du décalage existant dans la transmission de l’information entre les événements sur le terrain (guerre, grande peste, etc,…) et leur prise en compte par le pouvoir royal; en outre, pour quelques recensements, seuls certains feux sont répertoriés, soit en fonction du patrimoine des chefs de famille, soit pour d’autres raisons, fiscales notamment.

Enfin, le nombre d’habitants par feu est variable, mais on l’estime, pour la période qui nous intéresse, à environ 4 à 5 personnes par foyer, ce qui permet de se faire une idée approximative de la population du village à cette époque.

Aussi, en tenant compte de tous ces facteurs, et si l’on exclut la forte baisse anormale constatée en 1424, on remarque que la population du village subit une érosion presque constante sur la période incriminée. Cela est vraisemblablement liée à l’insécurité provoquée par les guerres continuelles entre la France et l’Aragon qui soumettent les villages frontaliers aux incursions fréquentes de l’ennemi, provoquent des destructions et des déplacements de population vers des zones plus sûres. A l’inverse, certaines familles s’établissent dans les villages à risques, parfois pour bénéficier des exemptions fiscales accordées par le pouvoir royal  afin de maintenir le tissu rural dans les zones éloignées.

Parallèlement, il est intéressant de comparer ces chiffres au nombre de chefs de famille présents à chacune des élections consulaires. Nous excluons volontairement de ces listes de chefs de familles d’Estagel les listes fournies par les documents de 1402 et 1422 qui ne concernent pas le même objet et qui, de ce fait, risquent de fausser les statistiques (Voir annexe 2). On s’aperçoit alors que ce nombre est relativement stable, et oscille, la plupart du temps, entre 45 et 55 individus, soit à peu près la même chose que le nombre de feux signalé en 1470.Une baisse en dessous de 40 feux peut être constatée pour les années 1426, 1444 et 1445.

Quelques familles paraissent se fixer à Estagel durant le XVe siècle: les Barriach semblent arriver vers 1422, les Ayguy en 1427, les Cucugnan en 1447 et les Vernet vers 1445.

Les Xaupi sont absents sur toute la période. Ils ne se fixeront à Estagel qu’au cours du XVIe siècle.

Les Bonet, quant à eux, disparaissent vers 1402 (peut-être pour se fixer à Tautavel où ils sont installés au XVIe siècle).

Grâce à ces listes, nous pouvons ajouter que les Jorda sont là depuis au moins 1411, les Mollet depuis 1402, de même que les Forner, les Raynart et les Amalrich pour ne citer que quelques familles. Toutefois, il faut tempérer ces remarques, tous les individus n’apparaissant pas dans les procès-verbaux de désignation.

Ajoutons, pour terminer, que plusieurs de ces familles, notamment les Amalrich, les Forner, les Reynart ou les Bonet, sont déjà mentionnées à Estagel dans le capbreu de 1292.

Les consuls d’Estagel retrouvés dans le minutier de Pierre Pastor

Date de nomination – Consuls

  • 05 novembre 1403 – Esteve Bernard, Molhet Arnaud, Boquer Bernard.
  • 11 novembre 1404 – Simon Pierre, Biatriu Pierre, Forner Berenger,
  • 11 novembre 1411 – Benet Vincent, Marti Bernard, Pelegri Guillaume,
  • 11 novembre 1412 – Capbou Gaillard, Boquer Bernard, Bisbe Arnaud.
  • 12 novembre 1413 – Vesia Bernard, Simon Pierre, Gasch Pierre-Bérenger.
  • 11 novembre 1414 – Benet Vincent, Biatriu Jean, Forner Berenger.
  • 11 novembre 1425 – Simon Pierre, Membrat Arnaud, Biatriu Jean.
  • 11 novembre 1426 – Benet Vincent, Raynart Jean, Forner Arnaud.
  • 11 novembre 1427 – Vesia Bernard, Esteve Bérenger, Pons Ponsraymond.
  • 11 novembre 1428 – Membrat Arnaud, Moner Pierre, Pastor Julien.
  • 11 novembre 1444 – Amalrich Vincent, Forner Antoine, Ponsraymond Arnaud
  • 11 novembre 1445 – Ferriol Bernard, Vernet Jacques, Forner Vincent.
  • 11 novembre 1446 – Biatriu Jean, Vesia Pierre, Marti Jean.
  • 11 novembre 1447 – Esteve Bérenger, Molhet Raymund, Raynart Vincent.

Patronymes figurant au moins une fois sur les listes de désignation des consuls d’Estagel au XVe siècle

  • ABBAYA
  • ADHEMAR
  • AGULLO
  • ALBAS
  • ALBAYA
  • AMALRICH
  • ANDRE
  • ARCA
  • ARISANI
  • ARNAUD
  • ARQUES
  • AUSSEN
  • AYGOSTI
  • AYGUI
  • BARON
  • BARRERA
  • BARRIACH
  • BAXA
  • BENET
  • BERART
  • BIATRIU
  • BISBE
  • BONEL
  • BONET
  • BOQUER
  • BORDA
  • BOXA
  • BRASACH
  • BUGARAX
  • CALL
  • CAPBOU
  • CLEMENT
  • COGIEL
  • COMA
  • CORBOS
  • COSCELL
  • COSENARI
  • CUCUYA
  • CURICH
  • DAUDER
  • DAYDE
  • DELAFONT
  • DEULIVEAU
  • DEULOSA
  • DOMAYO
  • DRIGS
  • DURAND
  • ESTEVE
  • FABRE
  • FALCHO
  • FERRARI
  • FERRIOL
  • FONT
  • FORNER
  • FRANC
  • GALHART
  • GARCIA
  • GASCH
  • GAUSE
  • GELIS
  • GIRMA
  • GONELLA
  • GRIFFE
  • HAHOST
  • ISARN
  • JORDA
  • LIMOSI
  • LULL
  • MARTI
  • MASSOT
  • MAURI
  • MEMBRAT
  • MOLLET
  • MONER
  • MONTOSSELS
  • NEGRELL
  • NICOLAU
  • PAGANA
  • PAGES
  • PASTOR
  • PAUL
  • PEBERNARD PELEGRI
  • PERPINYANI
  • PERROT
  • PETRIBONI
  • PI
  • PICASTRO
  • PINOSA
  • PONS
  • PONSRAYMOND
  • RAYNART
  • REY
  • RIBELL
  • RICHA
  • ROSSELL
  • SABATER
  • SAUTON
  • SCALVEYRAT
  • SCATA
  • SIMON
  • SINTA
  • SIRACH
  • SUQUET
  • TIXADOR
  • TROTER
  • VAYRA
  • VERNET
  • VESIAN
  • VINGRALDI