Préhistoire

Grottes d’Estagel

Courriers :

Du 21 mars 1837

M. le Maire (Estagel)

D’après le rapport d’un gendarme, adressé à ses supérieurs, et qui m’a été transmis par M. le Capitaine, on a fait, dans la commune d’Estagel, la découverte d’une grotte qui renferme des objets d’un grand intérêt.

Je vous prie de me donner des renseignements précis sur cette découverte, qui, suivant ce qu’on annonce publiquement, serait digne de l’attention des naturalistes et des artistes.

Si votre témoignage confirme ces détails, je m’empresserai d’envoyer sur les lieux une commission d’hommes spéciaux, et, dans ce cas, je vous recommande de prendre les moyens qui seront en votre pouvoir, pour empêcher toute mutilation ou enlèvement des objets renfermés dans l’enceinte découverte.

Beaux arts du 30 mars 1837

MM. de Basterol, architecte du département, Fauvelle, agent voyer, Bouin, professeur de chimie.

J’ai demandé à M. le Maire d’Estagel un rapport sur une grotte récemment découverte dans cette commune, et qui, d’après ce qu’on assure est digne de l’attention de l’observateur et des naturalistes. Je l’ai invité également à prendre les mesures de conservation qui pourraient dépendre de lui.

M. le Maire d’Estagel n’a pas encore satisfait à ma demande, mais comme on annonce que déjà quelques mutilations ont eu lieu, parmi les objets que renferme cette grotte, il est convenable de faire reconnaître l’état des choses, par des hommes spéciaux.

J’ai l’honneur de vous informer que je vous ai désigné, conjointement avec MM. Fauvelle et Bouin professeur de chimie, pour examiner les lieux et en dresser un rapport.

Je vous prie de vouloir bien vous concerter à cet effet avec vos deux collègues.

Dans l’espoir que vous accepterez cette mission, j’informe M. le Maire d’Estagel de votre prochaine visite, en l’invitant à vous seconder de tous ses moyens.

Beaux arts Du 30 mars 1837

M. le Maire d’Estagel

Vous ne m’avez point envoyé le rapport qui vous a été demandé par ma lettre du 21 de ce mois, sur la découverte d’une grotte, récemment faite dans les environs d’Estagel.

Comme il est question de mutilations, et d’enlèvement de quelques objets enfermés dans cette grotte, j’ai jugé convenable de ne pas tarder plus longtemps à faire reconnaître l’état des choses.

J’ai l’honneur de vous informer, en conséquence, que MM. De Basterol, architecte du département, Fauvelle, agent voyer, et Bouin, professeur de chimie, ont été invités à se rendre à Estagel.

Je vous prie de vouloir bien faciliter à ces Messieurs les moyens de remplir leur mission.

Découvertes archéologiques Du 6 février 1843

M. le Maire d’Estagel

M. Darbel, chef de bataillon en retraite, m’a prié de faire examiner quelques objets archéologiques récemment découverts dans la commune d’Estagel.

J’ai l’honneur de vous informer que j’ai chargé de ce soin Messieurs Jaubert de Passa, Henry et de Barterolo, et qu’ils seront rendus à Estagel, dans la matinée de vendredi prochain, 10 février.

Je vous prie d’en donner avis à M. Darbel et de vous concerter avec lui pour que ces Messieurs reçoivent sur les lieux, tous les renseignements que nécessite la mission dont ils ont bien voulu se charger.

Beaux arts.

(ADPO. 4T46)

GROTTE D’ESTAGEL Par M. le docteur Albert DONNEZAN

8 janvier 1894 21 janvier 1895

Directeur de la Section des Sciences,

Correspondant du Muséum D’histoire naturelle de Paris

Dans les premiers jours de janvier 1894, M. Drogue, ingénieur des ponts et chaussées, chargé de la construction du chemin de fer de Rivesaltes à Quillan, eut l’amabilité de nous faire connaître par une note, que les ouvriers occupés à la construction de la voie d’accès d’Estagel à la gare de cette petite ville, avaient mis au jour une grotte d’où l’on extrayait des ossements humains et des objets intéressants. Nous partîmes immédiatement pour cette localité, distante de Perpignan de 22 kilomètres, en compagnie de M. Scolie, ingénieur des ponts et chaussées à Perpignan, qui voulut bien nous accompagner pour faciliter les premiers rapports avec les agents de l’administration et l’entrepreneur de la voie. Nous prîmes, en passant à Cases de Pène, M. Debatz, conducteur des travaux, qui se mit gracieusement à notre disposition, et dont l’amabilité ne s’est pas démentie un instant depuis cette époque. Arrivés sur les lieux nous vîmes M. Roche, entrepreneur, qui malgré les nécessités de son entreprise voulut bien nous promettre de faciliter nos fouilles dès qu’elles ne seraient plus une cause d’arrêt pour ses constructions. On verra que nous avons, dans la suite, largement osé de ses bonnes dispositions à notre égard.

La découverte des terrassiers, rapidement connue, avait attiré sur les chantiers de nombreux curieux qui pillèrent les superbes stalactites mises au jour et disperseront de nombreux ossements découverts. Heureusement pour la science et pour notre étude, se trouve à Estagel un savant chercheur, M. Bauby, docteur en droit, qui consacre à des travaux archéologiques tous les moments de liberté que lui laissent ses devoirs professionnels.

Grâce à lui, tous les objets échappés au vandalisme des visiteurs furent soigneusement recueillis, classés et examinés avec soin. Malgré un temps des plus rigoureux, M. Bauby qui s’était parfaitement rendu compte de l’importance de la grotte, ne quitta plus le chantier et c’est là que nous le trouvâmes à notre première visite. Il avait eu, dès la première heure, l’excellente idée de noter toutes les phases de la découverte et c’est son journal que nous reproduisons exactement en l’accompagnant de nos observations personnelles.

Il n’est que justice d’attribuer toute la part qui revient au zèle compétent de notre dévoué collaborateur. Dès notre arrivée, il s’empressa de mettre gracieusement à notre disposition les importantes pièces qu’il avait sauvées. Depuis, il nous a continué son précieux concours non seulement en surveillant nos fouilles, mais encore en nous fournissant de nombreux documents pour la rédaction de ce mémoire.

L’examen des ossements et autres objets qui nous furent présentés par M. Bauby ne laissait aucun doute sur l’ancienneté de l’habitat. Les portions de crânes, quelques débris de poteries remontant à une très haute antiquité, un fragment de pendeloque d’allures robenhausiennes, une dent de renne, etc., nous firent penser à un de ces mélanges si fréquents dans les grottes préhistoriques.

La colline où se trouve la grotte et que nous décrivons en son lieu, forme une espèce de promontoire à peu près parallèle au cours de la rivière de l’Agly. Elle avait été entamée à la fois des deux côtés : au nord, par une tranchée profonde destinée à la voie ferrée, au sud, par une section parallèle à une route déjà existante et la surplombant de quelques mètres, destinée à l’établissement d’une voie d’accès d’Estagel à la gare projetée. C’est sur cette voie que la grotte avait été découverte.

Les travaux se poursuivaient avec une grande activité, en dehors de toute préoccupation scientifique, aussi n’est ce que plus tard que nous avons appris que pendant que les ouvriers occupés sur le versant sud de la colline faisaient sauter à la mine une partie de la voûte de notre grotte, ceux qui creusaient la tranchée nord comblaient, en y jetant plus de 60 wagonnets d’argile rouge, une immense excavation, découverte pour eux bien à propos pour les débarrasser de déblais qu’ils se dispensaient ainsi de porter plus loin. Il nous fut malheureusement trop facile de constater que les nombreux coups de mine et les travaux commencés pour la construction de la nouvelle route rendaient pour le moment, notre intervention impossible. Malgré tout notre désir de pratiquer des fouilles méthodiques dans le talus et sous la route, nous dûmes nous contenter de suivre d’un œil inquiet le travail des ouvriers.

Cependant grâce à la vigilance de M. Bauby et de M. Leyvaste, encore un zélé chercheur, qui avait bien voulu se joindre à nous, on put recueillir presque sous la pioche des terrassiers un couteau en silex, un os travaillé, une vertèbre de grand ruminant, etc. A la fin de janvier les ouvriers avaient dépassé la grotte. Sur les parties nouvellement aplanies de la voie on établit un Decauville, pour servir à l’achèvement du tronçon qui devait la relier à la grande route et au pont neuf situé en amont. Les wagonnets et de nombreux ouvriers circulaient constamment devant l’excavation laissée béante dans le talus. Condamnés à attendre nous crai­gnions de voir de profanes curieux s’introduire dans les cavités que nous voulions explorer et y porter une irréparable confusion.

Sur notre demande, M. Roche voulut bien faire soigneusement obstruer les ouvertures accidentellement pratiquées et nous nous mîmes en devoir de demander à M. l’ingénieur en chef du département l’autorisation qui nous était nécessaire pour faire de sérieuses fouilles, dès que la route étant terminée, nous ne pourrions plus gêner les travaux de l’entrepreneur.

Cette autorisation nous fut très rapidement accordée.

Entre temps, nous communiquâmes à la Société Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées Orientales nos impressions sur l’importance de la découverte et une subvention nous fut allouée pour aider nos recherches.

Ce n’est qu’au commencement d’octobre que le champ nous fut laissé libre. Nous avions la bonne fortune d’avoir en ce moment à notre disposition notre ancien chef de chantier Laurent Maurette, actuellement attaché à la Faculté des sciences de Lyon, dans le laboratoire du docteur Depéret. Il voulut bien se rendre à Estagel pour y entreprendre des recherches qui lui sont depuis longtemps familières.

A partir de ce moment, rien ne fut négligé pour étudier et découvrir l’âge de la grotte. C’est le résultat de ces recherches qui est consigné dans cette étude.

Contrairement à ce qui se passe dans presque toutes les grottes, plus complètement explorées il est vrai, on ne trouve à Estagel qu’une très petite quantité d’ossements ; les débris de l’industrie des anciens habitants y sont aussi très rares. Trois lames de silex, des os intentionnellement coupés, une pendeloque, une aiguille en os, quelques poteries composent tout le mobilier des différents habitats. Cette pauvreté relative tient à ce que nous n’avons fouillé qu’une très petite partie de la grotte : nos recherches n’ont porté que sur un point que le hasard seul nous a fait rencontrer et où nous avons pratiqué une coupe dans une des parties les plus étroites de l’immense excavation creusée sous la colline d’Estagel.

La constitution géologique de ce côteau et de la plupart de ceux qui l’avoisinent se prête admirablement aux grandes crevasses. Aussi il existe dans le pays de nombreuses grottes depu­is longtemps visitées et ne présentant plus de ce fait, qu’un intérêt relatif. Telle est la grotte de las Encantades (grotte des fées signalée par M. de Mortillet) et qui a fourni le thème de bien des légendes. Tout n’est pas cependant perdu pour la science, malgré les profanations séculaires de ces anciens abris. M. Leyvaste, nouvellement arrivé dans le pays et depuis longtemps habitué aux recherches de ce genre, s’est mis à explorer les diverses grottes de la région et ses fouilles pratiquées avec tout le soin que comporte cette étude lui ont déjà fourni des matériaux très intéressants sur lesquels on était loin de compter. De son côté M. Bauby fouille aussi avec ardeur d’autres abris ayant servi de sépultures et nous avons tout lieu d’espérer que ces zélés chercheurs publieront prochainement les résultats de leurs savantes explorations.

Nos récentes découvertes et celles que ces Messieurs ont bien voulu nous communiquer nous démontrent déjà suffisamment que les bords de la rivière de l’Agly ont été fréquentés dès les temps préhistoriques par des tribus nombreuses d’hommes appartenant à diverses races.

Parmi les crânes que nous avons pu étudier, certains appartiennent au type brachycéphale et dolichocéphale, d’autres semblent être intermédiaires entre les deux types. Il sera intéressant d’établir par de nouvelles recherches quelle a été la race la plus ancienne et à quelle époque une nouvelle race envahissante est venue la remplacer ou la modifier.

Déjà, dans la grotte d’Estagel, nous avons recueilli quelques éléments qui pourront apporter de précieux renseignements sur cette évolution. L’essai de description que nous avons entrepris n’a d’autre but que de rassembler quelques faits qui trouveront plus tard leur place dans une description d’ensemble de notre région à l’époque de l’homme primitif.

SITUATION GÉOLOGIQUE

La grotte paléolithique qui fait l’objet de ce travail est creusée dans un monticule rocheux, qui forme en face d’Estagel, sur la rive gauche de l’Agly, une petite crête orientée Est Ouest, ou légèrement Nord Est, parallèlement au cours de la rivière en ce point. Cette crête se prolonge en aval en une sorte de promontoire étroit et aigu que contourne le Verdouble avant de se jeter dans l’Agly un peu en aval d’Estagel.

La grotte est exactement située au quartier appelé Mont Estagel, au lieu dit Moli de Vent.

Au point de vue orographique ce chaînon peut être rattaché de l’autre côté de la cluse du Verdouble au chaînon de la Tour de Tautavel qui incline peu à peu vers le Nord Est, dans la direction de Vingrau et du département de l’Aude.

Au point de vue géologique, ce promontoire est constitué par un calcaire gris bleuâtre souvent rosé, compact et même marmoréen, souvent bréchoïde ; la stratification est confuse, mais les couches paraissent, en tout cas, fort redressées. Ces calcaires ne contiennent pas de fossiles et c’est par analogie seulement que M. Depéret les a rapportés aux calcaires à Réquiénies de l’Aptien inférieur, qui occupent de si vastes surfaces dans les Corbières. Il faut dire cependant que plus récemment M. Carez a rapporté les calcaires marbres d’Estagel au Jurassique et probablement au Lias.

Quoiqu’il en soit de cette question d’âge, les calcaires d’Estagel sont parcourus par de très nombreuses cassures verticales, dont les eaux de ruissellement ont profité pour s’insinuer entre les masses calcaires et y creuser des ramifications anfractueuses, dont quelques unes sont assez vastes pour mériter le nom de grottes et pour avoir été habitées dans les temps préhistoriques : telle paraît être l’origine de la grotte d’Estagel.

La tranchée du chemin de fer d’Estagel à Maury a recoupé le monticule rocheux en question et cette tranchée permet d’étudier avec facilité les nombreuses cassures qui affectent la roche. Plusieurs de ces larges crevasses se sont montrées remplies d’une argile rouge ferrugineuse qui doit être assimilée aux formations sidérolithiques et qui est évidemment le produit lentement accumulé dans ces fentes de la dissolution des calcaires par les eaux de ruissellement. A quelle époque s’est fait ce remplissage sidérolithique ? Il date fort probablement de la période tertiaire, mais l’absence de toute trace d’ossements de vertébrés entraînés dans ces crevasses en même temps que l’argile, empêche de pouvoir se prononcer avec précision.

Le versant méridional de la colline dite du Moli del Vents’incline par une pente douce jusqu’au lit de la rivière de l’Agly. A quelques mètres au dessus de ce cours d’eau on a construit il y a une cinquantaine d’années une route destinée à relier certaines propriétés au pont neuf d’Estagel. Cette route, en prévision des menaçants ravages des eaux souvent torrentielles de la rivière, a été soutenue par un énorme mur qui longe la base de la colline jusqu’à son extrémité sud.

La station du chemin de fer établie environ à 15 mètres au dessus de la ligne d’eau, se trouve au sommet d’un angle formé par une tranche creusée dans l’épaisseur du côteau pour l’établissement de la ligne ferrée et par la voie qui doit la relier à la ville d’Estagel. Cette dernière voie longe le versant méridional à cinq ou six mètres au dessus de l’ancienne route ; elle a été formée dans l’épaisseur des calcaires bréchoïdes et a nécessité la construction d’un talus incliné de 45 degrés sur le plan horizontal de la route.

C’est pendant l’exécution de ce travail qu’un coup de mine mit au jour de superbes stalactites au dessous desquelles s’ouvrait une cavité peu profonde, laissant entrevoir de très nombreuses concrétions calcaires et plusieurs chambres séparées par de puissants piliers stalagmitiques. Le sol se trouvait à des distances très variées de la voûte et au voisinage de l’ouverture on l’atteignait avec la main. Il était partout recouvert par une terre noire, sorte d’humus, absolument semblable à celui que l’on rencontre dans toutes les grottes ayant été habitées. C’est là que furent découverts des débris humains et des fragments de poterie recueillis par M. Bauby.

Il était évident qu’une grotte d’allures assez vastes existait en ce point et qu’on l’avait ouverte par le plafond. Comme cette ouverture se trouvait dans le talus il était probable qu’en le recoupant pour former le plan horizontal de la route, on allait tomber en plein dans la cavité de la grotte. Il n’en fut rien. Presque partout le long du talus et sur toute la longueur de la voie taillé par les ouvriers au dépend de la colline, on ne rencontra que des éboulis provenant des calcaires supérieurs, séparés sur plusieurs points par des stalagmites qui avaient été impuissantes à soutenir le plafond entièrement effondré. L’effondrement de la grotte était facile à constater. Mais on comprend aisément l’impossibilité matérielle dans laquelle nous nous sommes trouvés de discerner quelle était la part qui devait être attribuée dans ce fouillis d’éboulis et de couches diverses d’humus et de calcaires, aux travaux des ouvriers et à la catastrophe qui avait comblé antérieurement les vastes cavités de la roche.

Lorsque la route eut été achevée, sur nos indications et sous la direction de M. Mancelle, plusieurs ouvriers furent employés à rechercher d’abord les parties laissées intactes de la grotte. Nous commençâmes les travaux à l’ouverture fortuitement ouverte dansle plafond et que nous avions soigneusement fait boucher.

On pratiqua dans le talus une coupe verticale perpendiculaire à la route, comprenant toute la longueur de la grotte en ce point, s’élevant à plus de deux mètres au dessus et environ à deux mètres au dessous du plan de cette route. On comprend que pour pratiquer cette coupe et faire de la place aux ouvriers, il ait fallu creuser une vaste excavation et entamer largement la voie nouvellement construite. Nous avons fait dresser le plan de cette excavation avec les diverses profondeurs des fouilles pratiquées en suivant les murailles restées debout de l’ancienne grotte.

Nous mîmes ainsi au jour deux grandes cavités séparées par un énorme pilier. A droite de ce pilier le plafond primitif se présentait intact, orné de gracieuses stalactites ; à gauche, sur une étendue de plusieurs mètres, la colline semblait s’être affaissée tout entière. Nous constatâmes qu’en ce point le plafond avait cédé et qu’à dix mètres en amont, il reparaissait présentant une cassure très appréciable. En poursuivant, en profondeur, la coupe du talus, nous ne tardâmes pas à rencontrer un revêtement cristallin stalagmitique continu, sensiblement convexe au dessus et concave au dessous dont l’épaisseur variait de 15 à 30 centimètres et dont la forme accusait nettement l’origine. C’était bien là la voûte de la grotte.

L’affaissement de ce plafond avait été limité par la résistance du pilier stalagmitique et de la couche d’humus recouvrant le plancher que nous ne tardâmes pas à découvrir. Cette résistance n’avait pas été la même partout. L’écartement des deux nappes cristallines variait, sur une étendue de six mètres environ, de trente cinq centimètres à plus d’un mètre. Cet intervalle était comblé par de l’humus noir, qu’aucun remaniement n’avait pu atteindre et c’est dans cette couche, si heureusement préservée, que nous avons trouvé les précieux débris, dont la contemporanéité est absolument incontestable. M. de Mortillet a dit : dans le préhistorique « les meilleures conditions d’observation sont quand il y a des nappes de stalagmites qui séparent les assises, ou mieux encore, quand la roche, d’une désagrégation facile, forme des assises d’éboulis et de débris entre les lits archéologiques et paléontologiques. »

Dans la grotte d’Estagel la première condition surtout est remplie de façon à ne laisser aucun doute. Aussi, malgré le petit nombre d’objets trouvés dans cet humus, si parfaitement intact, nous croyons nous autorisés à leur attribuer la très haute antiquité suffisamment indiquée par le mélange des os de renne aux ossements humains.

Il n’est pas douteux que si nous avions pu poursuivre cette couche jusqu’à ses dernières limites dans la profondeur de la colline, nous serions arrivés à compléter nos découvertes. Mais le talus profondément entamé par nos fouilles ne présentait plus aucune solidité et nous avons préféré les interrompre en cet endroit, que de voir nos ouvriers exposés plus longtemps à de réels dangers.

La même disposition existait certainement en avant, dans les parties entamées par la mine et la pioche des ouvriers ; nous en avons recueilli des preuves incontestables en examinant les nombreuses dalles cristallines ayant appartenu à la voûte et au plafond de la grotte. Mais ces concrétions autrefois réunies avaient été brisées à coups de pic et réduites en fragments transportables sous lesquels on trouvait toujours, quand on les enlevait, une épaisse couche d’humus renfermant le plus souvent d’importants débris humains, des os de renne et de bos.

Nous ne nous bornâmes pas à la première excavation ouverte par la coupe verticale du talus, nous nous mîmes en devoir d’enlever le remblai nouvellement établi et de creuser sous la route en suivant la direction que nous indiquaient quelques fragments de voûte restés en place et les parois verticales de l’excavation.

La grotte semblait s’incliner vers l’ouest et dans la direction de la rivière. On découvrit ainsi plusieurs cavités dont les murs latéraux avaient dû appartenir à une très grande grotte.grottes 24

Il était facile de se rendre compte que l’immense affaissement de la voûte, déjà constaté dans le talus, avait été en avant, aussi étendu. Ici encore on rencontrait partout des fragments de voûte et de plancher parfaitement reconnaissables à leur forme spéciale.

Les portions ayant appartenu au plancher portaient à leur partie inférieure les empreintes des blocs calcaires à bords tranchants sur lesquels s’était formée la couche stalagmitique ; les parties provenant de la voûte étaient au contraire sensiblement concaves à la partie inférieure souvent ornée de petites stalactites, tandis que les parties supérieures convexes avaient entraîné des débris de la roche à laquelle elles adhéraient avant l’éboulement.

Certainement entre ces deux nappes aujourd’hui fragmentées, une puissante couche d’humus avait existé, mais elle n’était plus en place. Nous en retrouvons constamment les traces, tantôt dans le voisinage des portions renversées du plancher primitif, tantôt directement en contact avec les éboulis. Partout dans cet humus et seulement dans son épaisseur, nous avons trouvé des os de ruminants et des ossements humains, mais dans ces conditions il est parfaitement possible qu’ils n’aient pas été comme dans le talus à l’abri de tout mélange,

Ces nouvelles recherches nous conduisirent dans une vaste salle à plafond orné de belles stalactites fortement inclinées vers la rivière. Cette immense cavité avait été envahie par les éboulis mais elle n’était qu’imparfaitement comblée. En enlevant quelques blocs on put descendre à plus de quatre mètres de profondeur et constater qu’à ce niveau il existait de nouvelles et vastes chambres. Laurent Maurette put y pénétrer en se couchant et les éclairer suffisamment pour que nous pussions voir que la grotte s’étendait encore au loin. Là encore, dans ces profondeurs, avaient pénétré de nombreux blocs calcaires provenant de l’éboulement des couches supérieures et nous avions tout lieu de croire que le véritable plancher primitif n’était pas loin. Nous supposions près de nous, en nous rapprochant de l’entrée probable de la grotte, de bien intéressants débris remontant aux âges les plus reculés ; dans le but de les découvrir nous fîmes enlever une grande partie des déblais qui nous gênaient, mais la couche en était tellement épaisse que nous dûmes nous arrêter, peut-être au moment d’arriver au port. (Voir planche 1, fig. 1. Vue des travaux en voie d’exécution).

Les travaux ainsi effectués ont été suivis jour par jour par M. Bauby qui en a marqué toutes les phases ; ses notes d’une scrupuleuse exactitude ont puissamment facilité nos recherches ; nous n’hésitons pas à le dire, sans elles tout travail d’ensemble eût été impossible. Nous les transcrivons telles quelles ont été prises sur le terrain.

JOURNAL De M. BAUBY

  1. -Vendredi 29 décembre 1893. – Un squelette.
  2. -1er janvier 1894. – Un squelette (non vu, les os ont été dispersés).
  3. -2 janvier. – Deux squelettes ; deux fragments de pendeloque ; dix fragments de poterie dont quatre appartenant au même vase ; fragment d’omoplate d’un grand ruminant.
  4. -7 janvier – Caillou roulé noirâtre.
  5. -8 janvier. – Un squelette, toujours dans la terre noire, c’est le cinquième ; visite de MM, Donnezan, Soulié et Débatz,
  6. -9 janvier – Découverte, par M. Leyvaste, d’un premier couteau en silex et d’un fragment d’os paraissant aiguisé ; une vertèbre de grand ruminant.
  7. -19 janvier. – Découverte dans la tranchée nord d’une cavité profonde paraissant se diriger vers la grotte et que les ouvriers avaient rapidement comblée.
  8. -Fin janvier. – Découverte même lieu d’une nouvelle boursouflure, également comblée.
  9. Reprise des travaux.
  10. -Lundi 15 octobre, M. Laurent Maurette découvre un crâne (le sixième) ; des ossements humains ; Un couteau de silex ; un autre crâne (septième) ; un doigt de cerf.
  11. -16 octobre 1894. – Mâchoire inférieure de renne ; un crâne humain (huitième) fracturé par compression.
  12. -17 octobre. – Déblayement d’une chambre découverte en poursuivant une fissure plongeant vers la rivière.
  13. -19 octobre. – Phalanges de renne.
  14. -20 octobre. – Deux fémurs, deux tibias et une mandibule de renne.
  15. -22 octobre, – Dans la petite grotte (à droite du grand pilier stalagmitique) au-dessus du plancher calcaire, os de grand ruminant.
  16. -23 octobre. – Dans une poche sans plafond en avant de la petite grotte, ossements de renne (quatre dents et deux phalanges) et sous la voûte de la petite grotte, sur le plancher stalagmitique, fragments de canons et rotule du grand ruminant.
  17. -24 octobre. – En face la petite grotte, dans l’humus, au-dessus du plancher, une aiguille en os poli et perforée ; os de ruminant avec cassures anciennes ; vertèbre dorsale ; sous le plafond effondré de la grande grotte (à gauche du pilier entre les deux couches calcaires) os iliaque et vertèbres humains ; en avant, en face le pilier séparant les deux grottes, fragment de pecten.
  18. -25 Octobre – Dans l’humus de la grande grotte, calcanéum et os iliaque humain.
  19. Dans l’éboulement vers la grande cavité souterraine à 10 centimètres au-dessous de l’avenue, mandibule de renne en partie brisée.
  20. -26 octobre, – Dans les décombres glissés vers la chambre souterraine, six fragments de poterie.

  21. -27 octobre. – Un couteau en pierre (fibrolite), un fragment de côte, une dent et d’autres débris humains. Sous la voûte de la petite grotte (à droite, du pilier), ossements de grand ruminant et mandibule de renard recouverts d’une couche stalagmitique.
  22. -28 octobre. – Au seuil de la chambre souterraine sous une grande stalactite au-dessous du fossé de la route, charbons et cendres, trace d’un petit foyer, fragments d’os calcinés.
  23. -29 octobre. – sous la voûte plongeante de la petite grotte (à droite) on continue à trouver des os brisés de grand ruminant.
  24. Au seuil de la grande chambre souterraine (à gauche), bloc rectangulaire de grès fin poli sur deux faces (peut-être un polissoir). – En poursuivant les fouilles on trouve un nouveau corridor souterrain se dirigeant vers le nord-ouest.
  25. -30 et 31 octobre. – Toujours à l’entrée de la même chambre, ossements de renne et mandibule de carnassier.
  26. -2 novembre. -Dans le forage au milieu de la chaussée pour éclairer la chambre souterraine, dents de carnassier.
  27. Les jours suivants on a continué à trouver de nombreux ossements de rongeurs dans toutes les parties explorées, mais on n’a plus rien noté d’intéressant jusqu’au jour où les fouilles ont cessé.
  28. Il nous a paru intéressant de donner in extenso le journal de M. Bauby rédigé sur le terrain au fur et à mesure des travaux et des découvertes
  29. Du 29 décembre à la fin de janvier tous les objets recueillis l’ont été au hasard, suivant que les ouvriers entamaient telle ou telle partie de la grotte. La présence d’ossements humains sous ces voûtes préservées de tout contact extérieur par une épaisse couche de calcaire, le silex taillé trouvé par MR Leyvaste, la qualité de la terre qui avait servi à fabriquer les poteries, indiquaient déjà un habitat très ancien. Mais il était absolument impossible de rien démêler dans l’inextricable chaos au milieu duquel nous nous trouvions.

A partir du mois d’octobre, les recherches poursuivies suivant un plan déterminé commencèrent à donner quelques résultats. – Ce n’est pas sans une vive satisfaction que nous pûmes peu à peu établir la présence au milieu des éboulis de deux couches toujours les mêmes quoique souvent disloquées et dispersées. Déjà frappés par la constance de la juxtaposition des couches d’humus aux fragments un peu volumineux de voûtes et de planchers, nous avions aussi remarqué que toutes les pièces intéressantes ne se trouvaient que dans cet humus. Il était tentant d’assigner déjà un âge à notre grotte et nous l’aurions peut-être fait si nous n’avions eu l’heureuse fortune d’être visités, à Estagel, par M. Depéret, professeur de géologie à la faculté des sciences de Lyon. Il remarqua, aussitôt, le mélange très probablement accidentel des os de renne et des silex taillés à la pendeloque Robenhausienne et surtout aux poteries. Il nous recommande la plus grande précision dans nos fouilles, et une prudence méticuleuse dans nos appréciations. Il n’avait vu que nos fouilles inachevées et les deux nappes calcaires, heureusement trouvées en place n’étaient pas encore à découvert. De l’humus qui les séparait nous avons extrait nous-mêmes des portions très importantes d’un squelette humain, des os de renne et de ruminants. Dans cette couche pas d’introduction possible d’objets provenant d’une époque plus récente. Aucun éboulis, aucun ruissellement n’aurait pu transporter les restes que nous y avons trouvés et qui y étaient si étroitement enfermés que les plus volumineux, les crânes par exemple et le bassin étaient déformés par la pression (16 octobre 1894).

Là, il n’existait ni poteries, ni cendre, ni pendeloques. Tout semble nous indiquer une habitation paléolithique

Mais pour suivre les instructions et les sages conseils de notre savant maître, nous nous bornons à enregistrer seulement ce que nous avons vu, laissant à de plus compétents ; le soin de tirer partie de notre travail et de l’exposé impartial des faits, si tant est qu’ils présentent un intérêt scientifique suffisant.

En l’état où nous avons dû arrêter nos fouilles, il est relativement facile de se faire une idée de ce qu’était la grotte d’Estagel et des changements successifs qui s’y sont produits.

Elle devait être très vaste et comprenait plusieurs grandes chambres et quelques-unes de petites dimensions. Il est infiniment probable qu’elle avait une entrée vers la rivière au sud et qu’elle communiquait avec l’immense cavité comblée par les ouvriers dans la tranchée nord.

A un moment donné un affaissement se produisit dans un point du plafond et par cette ouverture pénétra dans la grotte une énorme quantité de roches éboulées qui se répandirent sous les voûtes. L’action des eaux et du temps effaça à l’extérieur toute trace de ce mouvement tandis qu’a l’intérieur, de nouvelles couches de stalagmites s’incrustèrent sur ces éboulis, formant dans l’ancienne grotte de nouveaux planchers que nous rencontrons couverts d’une épaisse couche d’humus, riche en ossements humains et parsemée d’os brisés d’animaux ayant servi à la nourriture des habitants de ces retraites profondes.

Dans les conditions où se trouvait la voûte primitive ébranlée par une première fracture, il n’est pas surprenant que de nouvelles portions se soient successivement affaissées, emprisonnant entre deux couches calcaires, sinon les habitants surpris vivants dans leur retraite, du moins les squelettes qu’ils y avaient abandonnés avec les restes de leurs repas et divers produits de leur industrie.

Malgré ces catastrophes survenues dans la partie la plus élevée de la grotte, les côtés soutenus par de puissantes murailles restaient en place, laissant entre elles et certains piliers des intervalles praticables que les éboulements avaient à peine atteints. C’est dans ces chambres étroites on plutôt dans ces corridors situés sur les deux côtés de la grotte et incontestablement visités par de nouveaux habitants, qu’on a trouvé des fragments de poteries, une pendeloque et les débris du vase que nous avons pu reconstituer. Ces hommes avaient été précédés par ceux dont nous trouvons les squelettes et les outils mêlés à des débris importants de renne et de bos, emprisonnés entre le plancher et la voûte de la grotte effondrée.

Il aurait été intéressant d’aller plus profondément et de rechercher, à la base des éboulis l’ancien plancher rocheux.

Comme nous l’avons dit, nous nous y sommes employés avec ardeur et avons fait pratiquer dans la dernière chambre découverte à l’extrémité occidentale, de grands travaux de déblaiement. Mais les ressources nous ont fait défaut et il a fallu s’arrêter en présence des difficultés de l’entreprise, sans être arrivés au point où nous aurions pu trouver les restes d’un habitat encore plus ancien.

Malgré la réserve que nous nous sommes imposée, nous n’hésitons pas à admettre l’hypothèse suivante suffisamment justifiée par les faits :

1° Habitation par l’homme à l’époque du renne, fait incontestable par la présence même du renne, de débris humains, de silex taillés et d’une aiguille en os de cette époque (paléolithique.)

2° Effondrement d’une partie du plafond de la grotte sur l’humus pendant la période paléolithique, puisque les objets enfermés dans l’humus comprimé et séparé du reste de la grotte par cette catastrophe, appartiennent exclusivement à cette époque.

3°Continuation de l’habitat dans les parties non effondrées Sépulture néolithique au voisinage du même humus, et par place dans le même humus qui contient le renne (La pendeloque et les poteries se rapportent à l’âge néolithique et s’accordent même avec l’idée de sépulture).

Nous ne saurions nous borner à l’étude purement stratigraphique de la grotte d’Estagel. Nous avons jugé indispensable de la compléter par la description sommaire des débris humains, des os d’animaux et des restes de l’industrie des divers habitants qui se sont succédés dans notre grotte.

Les squelettes humains étaient relativement nombreux dans un si petit espace, les fragments d’os que nous y avons recueillis se rapportent a huit sujets, dont nous n’avons pu sauver, sauf les crânes, que des débris incomplets. Ils appartenaient à des individus de tout âge : des enfants, un vieillard et des adultes des deux sexes.

Tous les os d’animaux trouvés auprès de ces squelettes étaient intentionnellement brisés et le choix des fragments indiquait bien que nos chasseurs les avaient apportés dans leurs demeures pour se nourrir des chairs qui les recouvraient. Aussi, pas de parties encombrantes et inutiles. Nous n’avons trouvé ni un sabot, ni en bois, ni une corne.

Les instruments primitifs si communs dans les habitats de ces époques reculées, sont ici au contraire fort rares. Trois lames de silex seulement avaient été oubliées parmi ces restes de cuisine. Cette circonstance est facilement explicable si on se rend compte que la matière première faisait absolument défaut dans la région. Les gisements les plus rapprochés se trouvent bien loin de là, dans la Haute Garonne ou dans l’Ariège.

Les habitants de nos grottes attachaient moins de prix à certains cailloux roulés, intentionnellement taillés pour l’adaptation à divers usages et qu’ils ont abandonnés en assez grand nombre au milieu des autres débris. Ce n’est certainement pas volontairement qu’ils ont laissé l’aiguille en os si artistement travaillée que nous avons recueillie. Elle est de dimensions peu communes et d’un fini remarquable.

Parmi les poteries qui appartiennent à un habitat plus récent, et qui n’offrent en dehors de leur composition et de leur forme primitive rien de particulier, il est un fragment très intéressant par la présence de quelques dessins faits sur l’argile encore tendre à l’aide d’un poinçon aigu. Il se rapproche des poteries robenhausiennes reproduites dans le Musée préhistorique de Mortillet.

La pendeloque trouvée avec elles est à peu près pareille aussi à celle qui a été décrite, dans le même atlas (planche LXIII fig. 624). Elle n’est remarquable que par son poli et son trou de suspension formé de deux cônes croisés sur chaque face et se rejoignant par la pointe dans l’épaisseur de la plaque.

Les os d’un grand ruminant que nous rapporterions volontiers au bos primigénius, si l’absence de cornes ne nous forçait à la plus grande réserve, sont pour la plupart très habilement coupés dans le sens de la longueur.

Nous trouvons sur un grand nombre d’os humain, et de débris d’animaux, des traces très visibles de dents de rongeurs et même de petits carnassiers. Ces traces ne peuvent nous surprendre, car dans tous les points où ont porté nos fouilles nous avons trouvé des restes nombreux de ces fouisseurs dans d’innombrables terriers creusés par eux aux dépens des éboulis, sous les couches calcaires. Il n’est pas pour ces derniers habitants du causse question de contemporanéité, il serait impossible d’essayer même de déterminer approximativement l’époque où ils ont fait irruption dans leurs souterraines demeures.

Fidèle à la réserve que nous nous sommes imposée, nous n’entreprendrons pas la description technique des squelettes d’Estagel, la tâche serait d’ailleurs au-dessus de nos forces. C’est avec une passion véritable que nous avons mensuré particulièrement les crânes de notre grotte, mais il appartient seulement à des spécialistes de se prononcer et de nous éclairer sur des questions qui, quoique à l’ordre du jour, sont loin d’être définitivement tranchées.

L’homme de Chancelade (Dordogne) si magistralement étudié par le Dr L. Testut, de Lyon, est à notre connais­sance un des rares témoins de l’époque madalénienne dont l’authenticité soit incontestée. Aussi est ce à ce type que nous avons comparé les crânes d’Estagel. Nous avons trouvé bien peu de caractères communs.

D’ailleurs, les trois ou quatre spécimens que nous avons entre les mains et qui sont susceptibles d’une étude à peu près complète diffèrent très sensiblement entre eux. Nous reproduisons dans ce mémoire deux des nombreuses photographies que le Dr Lutrand a bien voulu prendre des pièces trouvées à Estagel. Nous ne saurions trop le remercier de sa constante amabilité, si souvent mise à l’épreuve, et le félicitons bien sincèrement de la façon remarquable dont il a réussi un travail souvent irréalisable par les professionnels les plus expérimentés.

La planche 1. fig. 2, donne une vue du face d’un crâne adulte, le plus complet que nous possédons et d’un crâne plus petit que nous pensons être celui d’une jeune fille. Le décimètre photographié d’un côté de la planche donne l’échelle.

Comme nous l’avons dit plus haut, nous avons trouvé, à Estagel des crânes brachycéphales et dolichocéphales. La forme générale est belle, et comme l’a dit Wirchow, à propos d’autres crânes anciens, ils pourraient faire envie à beaucoup d’individus actuellement existants.

La capacité crânienne est considérable, un caractère constant nous a frappé, c’est le peu de développement des apophyses mastoïdes. Nous pourrions en citer quelques autres, mais ils feront l’objet d’un travail ultérieur quand nous aurons pris l’avis de nos maîtres en la matière.

Dans la planche II, fig. 1, nous avons réuni les objets les plus intéressants de l’industrie paléolithique des habitants de la grotte et deux mandibules de renne trouvées avec eux :

Trois lames en silex taillé (Époque de la Madeleine.) elles mesurent : long, 55 millimètres, larg. 1 centimètre ; long. 48 millimètres, larg. 26 ; long. 4 centimètres, larg. 12 millimètres.

Une aiguille en os très soigneusement travaillée, portant un chas très bien conservé, elle mesure 93 millimètres.

Deux fragments d’os intentionnellement taillés probablement pour faire des aiguilles ; une phalange de petit cerf perforée à la base.

Les deux mandibules de renne n’ont pas besoin d’être décrites.

Comme appartenant à une époque plus récente nous avons déjà cité un débris de poterie orné et divers autres fragments de poterie grossièrement travaillés appartenant à un petit vase que nous avons à peu près reconstitué. Haut de 11 centimètres, large de 12 centimètres à l’ouverture, il ne porte aucune trace d »anse, d’ornement ou de trou de suspension. Sa base est arrondie.

La pendeloque que nous avons mentionnée est une plaque de schiste polie sur les deux faces à trou de suspension formé de deux cônes convergents ; brisée à la partie inférieure elle mesure encore 13 centimètres de longueur, 42 millimètres de largeur dans toute sa longueur ; légèrement convexe sur les deux faces elle est amincie sur les bords et à son extrémité supérieure ; l’extrémité inférieure n’existe pas. Ces divers objets sont figurés planche II, fig. 2. On en trouve d’à peu près pareils dans une des planches consacrées au Robenhausien, dans l’atlas du Musée préhistorique de MM. de Mortillet.

A signaler encore un fragment d’os calciné et un reste de foyer représenté par une très petite quantité de cendres.

En résumé nous avons trouvé dans la grotte d’Estagel :

1-Les traces irrécusables du premier habitat paléolithique connu en Roussillon.

2-Les preuves de l’existence de l’homme sur les bords de l’Agly à l’époque Robenhausienne. C’est aussi la première fois que la présence du renne est constatée dans les Pyrénées-Orientales.

Ces faits nous ont paru dignes d’être signalés.

TABLEAU DES PIÈCES RECUEILLIE

  • Homme : Crânes, vertèbres, os des membres : restes se rapportant à huit sujets.
  • Bos primigenius, ou bison priscus : fragments de membres, os du carpe, tarse, doigts, pas de Cornes.
  • Cervus sp. ? Os des membres, vertèbres, dents, pas de bois.
  • Cervus tarendus (renne) : mandibules, os des membres, pas de bois,
  • Félis lynx : os des membres, dents.
  • Canis Vulpes : os des membres, mandibules.
  • Lepus : mandibules, os des membres.
  • Un oiseau de la famille des Corvidés. plan en coupe
  • Fragments de coquilles marines

DÉBRIS DE L’INDUSTRIE HUMAINE

  • Silex taillés aiguille en os os coupés suivant la longueur, os travaillé (époque de la Madeleine),
  • Pendeloque poteries ornées vases époque Robenhausienne).
  • Cailloux appropriés à divers usages.
  • Os calcinés cendres os rongés.